Foire aux questions

Pourquoi avoir besoin de créer un nouveau terme ? On ne peut pas se contenter d’homicide ?

La majorité des homicides se produisent entre hommes pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le sexe de la victime. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que la majorité des femmes qui sont tuées le sont par des hommes, et que le fait qu’elles sont de sexe féminin est fortement moteur dans le passage à l’acte. Pourtant on continue de parler d’homicide, terme qui occulte un état de fait largement inégal entre les sexes. La notion d’homicide ne dit rien des rapports homme/femme. D’ailleurs, les notions de « crime conjugal » ou « violence conjugale » ne disent rien non plus à ce propos. Par conséquent, le fait que la grande majorité des victimes soient des femmes est tout simplement invisible.

 

 

Ça va changer quoi, concrètement, d’employer le terme féminicide ?

Employer le bon mot pour désigner une situation, c’est ce qu’on appelle communément « appeler un chat un chat », et ça a de nombreux effets. D’une part, ça permet de mettre le doigt sur une réalité. Quelque chose qui, par la force du mot, devient visible. Cela permet, en outre, de faire avancer la prise de conscience : si l’on nomme les féminicides pour ce qu’ils sont, et qu’on ne les retrouve plus dans la rubrique faits divers sous le titre « fou de douleur, le mari éconduit tue sa femme », leur nombre et leur motif commun prendra une allure de fait de société.

D’autre part, l’existence de la notion de féminicide permettra d’appliquer une condamnation plus lourde s’il est avéré que le meurtre répond à cette définition juridique. Cela impactera notamment la manière dont l’enquête est menée, et les critères qui seront observés viendront confirmer ou infirmer le féminicide.

 

Finalement, est-ce que ce n’est pas du sexisme inversé ?

Les faits montrent qu’il n’existe aucun cas de meurtre androcides. Quand la plupart des femmes tuées par des hommes le sont pour des motifs genrés.

 

Est-ce que ça signifie que tuer une femme est plus grave que tuer un homme ?

Ce qui est grave c’est qu’on efface encore aujourd’hui l’un des aspects fondamentaux du meurtre des femmes, contrairement à ce qui est aujourd’hui mis à jour dans les crimes à caractère raciste, homophobe ou antisémite. Et on occulte ainsi un phénomène social qui a besoin d’être combattu, au même titre que les crimes à caractère raciste, homophobe ou antisémite. Il est inconcevable de laisser impunie la motivation à tuer pour ce qu’on est : homosexuel, « étranger », juif… ou femme.

 

Est-ce que tous les meurtres de femmes sont des féminicides ?

Non, il existe bien entendu des cas de meurtres où le rapport de genre n’a aucune incidence, par exemple dans le cadre de meurtres crapuleux (vols, attaques à main armée…). En revanche, il faut avoir conscience que la majorité des meurtres de femmes sont des féminicides. Il s’agit de pouvoir les identifier comme tels et les punir en conséquence.

 

Pourquoi employer le même terme pour désigner les féminicides de masse et les cas particuliers des maris qui tuent leur épouse en France ?

Effectivement, la haine des femmes est meurtrière dans des proportions plus impressionnantes, dans des pays éloignés de notre culture, de notre histoire, de nos habitudes. Néanmoins, c’est la même racine qui est à combattre : une société patriarcale, qui méprise la femme en la réduisant à être la « propriété » de l’homme, rendant ainsi sa suppression plus acceptable, voire anecdotique (les faits divers n’étant rien d’autre qu’une forme d’anecdote médiatique). Cette racine patriarcale commune amène au même résultat, à savoir masquer le principal moteur du meurtre.

En dénonçant les féminicides, n’est-on pas en train de positionner les femmes comme des victimes, les fragilisant encore davantage ?

Au contraire : notre propos n’est pas de dire que chaque femme est potentiellement la cible d’un meurtre ! Non, on donne à chacun les armes pour combattre cet état de faits. En permettant à chacun de prendre conscience que les femmes peuvent être tuées parce que femmes, même en France, même en 2014, on permet aux femmes victimes de violence d’avoir conscience du risque et de sentir qu’elles ne sont pas seules. On permet aussi de faire bouger les institutions, pour qu’elles protègent et préviennent mieux. Bref, de remuer la société pour qu’elle ouvre les yeux sur ce phénomène : les hommes sont capables de tuer les femmes, et ce n’est certainement pas par amour. Il faut donc que les alertes soient lancées, que les signaux soient repérés. Notre souhait : que le nombre de victimes baisse drastiquement, et que la culpabilité pleine et entière des meurtriers soit reconnue.

 

Que dit la Loi, ailleurs ?

En Amérique centrale, par exemple, on reconnaît le « feminicidio » depuis les années 90., désigné comme « le meurtre de femme par un homme ou un groupe d’hommes, fondé sur le fait d’être un femme sujette à une subordination de genre » (Ana Carcedo). La Convention interaméricaine Belem Do Para (9 juin 1994), définit ainsi la violence contre la femme : « tout acte ou comportement fondé sur la condition féminine, qui cause la mort, des torts ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychiques à la femme, aussi bien dans sa vie publique que dans sa vie privée. » Obligation est faite aux Etats signataires d’agir pour prévenir, sanctionner et éliminer la violence contre les femmes dans les sphères publique et privée.

 

En Espagne, la loi de janvier 2004 définit la « violence de genre » comme « l’expression la plus brutale de l’inégalité de genre, produit des structures patriarcales » et l’institue problème public. Des tribunaux spéciaux ont ainsi été créés, et le traitement pénal est différencié suivant le sexe de l’auteur du crime.

 

C’est quoi un féminicide, au juste ?

Ce terme, peu connu et totalement absent des vocabulaires juridique comme médiatique, recouvre pourtant un phénomène bien réel. Le féminicide est l’incarnation la plus radicale de la haine contre les femmes : c’est le fait de tuer une femme pour ce qu’elle est. L’existence du féminicide prend racine dans nos sociétés patriarcales : naître femme dans ces sociétés, c’est être « la possession » de l’homme, et lui être inférieure. En poussant à l’extrême ce raisonnement, l’homme peut estimer qu’il a droit de vie et de mort sur ce qui « lui appartient ». C’est la raison pour laquelle le féminicide doit être considéré comme le dernier degré des différentes violences faites aux femmes, quand on estime aujourd’hui que la violence la plus forte faite aux femmes est le viol.

 

A mon niveau, qu’est-ce que je peux faire pour changer les choses ?

Un premier pas consiste à décrypter différemment les « faits divers » relatant les meurtres de femmes, à l’aune de la notion de féminicide.

Dans votre quotidien, soyez attentif et à l’écoute : les femmes qui sont victimes de meurtre ont, dans la grande majorité des cas, donné l’alerte précédemment, en signifiant à leur entourage la violence de leur compagnon (verbale ou physique). Le meurtre est la dernière étape d’un continuum de violences : savoir les repérer, savoir accompagner les femmes qui en sont victimes permet d’éviter le pire.

Enfin, n’hésitez pas à vous faire le relais de cette campagne : plus nous serons nombreux-ses à être conscient-e-s de l’existence du féminicide, plus les choses bougeront.

 

 

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