Les médias, en particulier la presse écrite, constituent quasi exclusivement le seul moyen d’apprendre l’existence d’un féminicide.
Les crimes commis par un conjoint ou un ex-conjoint, sont même devenus un genre journalistique à part entière. Publiés dans la rubrique « Faits divers », ils sont communément qualifiés de « crimes passionnels ».
Les médias sont souvent un bon reflet de la perception d’un fait social. Ils exacerbent les idées reçues et fonctionnent par association d’idées car ils doivent faire vite, court et compréhensible par tous. Les dépêches AFP inspirent d’ailleurs très largement la rédaction des articles relatant des « faits divers ». On retrouve ainsi les mêmes expressions reprises par 10 titres de presse.
Via un appel à contribution lancé en Juin 2014, Osez le féminisme ! a réuni plus de 300 coupures de presse issues de quotidiens nationaux et locaux. Vous avez été très nombreuses et nombreux à nous écrire, excédés et choqués par le traitement médiatique de ces crimes machistes.
Que nous disent ces articles ? Décryptage en 5 enseignements :
1 – Il n’y a pas un criminel et une victime mais un « drame familial »
C’est l’alcool, le chômage, les dettes qui sont responsables de ce « drame », qui touche aussi bien la femme, l’homme que les enfants et l’entourage. Le(s) meurtre(s) sont renvoyés à la sphère privée, à des données intrinsèques à la famille. Il semble toujours y avoir des circonstances atténuantes pour un féminicide au sein du couple.
Il n’est pas rare que soient cités les propos misogynes de l’agresseur, perpétuant ainsi les stéréotypes contre les femmes. La femme, assassinée ou rescapée, n’a, en revanche, que très peu souvent droit au chapitre. C’est occulter la responsabilité de l’auteur, qui n’apparaît pas comme un criminel mais comme un homme esseulé, créant ainsi de l’empathie chez le lecteur.
=> Certes il est primordial de respecter la présomption d’innocence. Néanmoins, une fois déterminée la sentence les condamnant, les coupables doivent être nommés comme il se doit et leur peine précisée.
2 – Le meurtre comme aboutissement d’une histoire d’amour
Être journaliste c’est aussi « savoir raconter des histoires », donner vie à des faits pour intéresser le lecteur. Dans cet article, on appelle la victime et l’auteur par leur prénom, on romantise les faits. On assiste là à une reconstitution et à une véritable interprétation psychologique sans aucun fondement.
=> Les féminicides ne sont pas un chapitre d’un roman à l’eau de rose. C’est un phénomène global, qui touche toutes les femmes, partout dans le monde. Il est important de recontextualiser chaque fait et de rappeler le nombre de femmes tuées chaque année en France.
3 – La victime a sa part de responsabilité
Infidèle, ou soupçonnée de l’être, venue annoncer une rupture, étouffant son conjoint par son succès ou son amour, la victime porte une part de responsabilité.
On lui reproche d’avoir été assez naïve pour rester auprès d’un compagnon violent, ou bien de l’avoir pardonné. Ou, au contraire, on lui reproche d’avoir abandonné le domicile conjugal.
C’est donc, quoiqu’elles fassent, de la faute des victimes. Par ce traitement médiatique qui insinue que les féminicides n’arrivent pas par hasard, les femmes se voient prescrire des comportements à adopter ou à éviter sous peine de mettre leur vie en jeu.
=> Un traitement médiatique approprié ne doit pas donner de justifications ou de raisons (alcool, drogues, dispute…). La cause des violences de genre est le contrôle et la domination que certains hommes exercent envers leurs compagnes.
4 – C’était un couple sans histoire, ce n’était pas prévisible
Pour écrire un article sur un meurtre encore non élucidé, les journalistes cherchent des témoignages. Parmi eux, sont très fréquemment cités les voisins. Que nous disent-ils ? « C’était un couple sans histoire », « c’était quelqu’un de très charmant, nous n’aurions jamais pu imaginer ce drame », « ils semblaient heureux ».
121 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en 2013. Dans 40% des cas, il est avéré que la victime avait déjà subi des violences sous diverses formes au sein du couple.
Qui est en capacité de décréter qu’un couple est « sans histoire » ? Les violences conjugales ont bien souvent lieu loin des regards. Par culpabilité, parce qu’elles ne sont pas entendues, parce qu’une démarche judiciaire s’avère souvent éprouvante et sans fin, les victimes de violences conjugales peuvent parfois témoigner au bout de plusieurs voire de dizaines d’années de calvaire. Elles sont une minorité : 10% seulement des victimes de violences auraient déjà porté plainte.
=> Eviter les avis des voisins ou de membres de la famille qui n’auraient pas été directement témoins des faits. Les sources à privilégier sont les personnes expertes en matière de violences machistes : sociologues, juristes, associations spécialisées d’accompagnement et de prévention.
5 – Les féminicides sont des « faits divers »
Les féminicides ne sont pas des cas isolés, ce ne sont pas des accidents. Les crimes machistes sont la première cause de mortalité des femmes entre 16 et 44 ans dans le monde. C’est un phénomène de société qui doit être traité comme tel.
=> Les féminicides sont des faits sociaux, ils touchent les femmmes massivement, partout dans le monde et s’inscrivent dans un système de domination masculine. Ils doivent être développés dans la rubrique « Société ».